2ème : UNE STATION SERVICE en 1995


UNE STATION SERVICE de Gildas Bourdet - 1995


Une station service de Gildas Bourdet a été jouée 12 fois en 1995 à la salle Jacques Tati Orsay, mise en scène par Jean Noël.

Les seules et uniques fois où la salle Jacques Tati a hébergé une voiture, une pompe à essence, une cabine téléphonique, une centaine de pneus, des vieux bidons, une mobylette, une expo de tableaux... Notre décor dans lequel nous vivions quasiment 24h/24.

Nous avions pris la plus petite voiture existante, la seule qui pouvait entrer par l'ancienne porte. A l'époque où la salle n'avait pas de hall d'accueil mais juste deux portes battantes et un sas d'entrée. Dans l'Austin, un soir de fête d'après spectacle nous avions réussi à rentrer à 9 !! J'étais écrasée sur la plage arrière qui était grande comme un mouchoir de poche et je ne me rappelle pas avoir autant ri dans une voiture depuis ce soir-là.


Mathieu, François, moi, la voiture, la pompe à essence et les pneus



Tous les acteurs, la voiture avait disparu
mais on voit la cabine téléphonique

"Une station service" a été une aventure magnifique, une folie totale. Une pièce de rencontres, une troupe d'amitié folle. Une pièce étonnante puisque j'ai répété enceinte, ai accouché le lendemain d'une répét musclée, et suis revenue avec ma petite Lou trois jours plus tard. Jean No la portait dans le porte bébé tout en nous dirigeant. Nous avons joué trois mois après sa naissance. Elle peut dire maintenant qu'elle est tombée dans la marmite du théâtre à sa naissance. Elle en fait maintenant aussi.

Il y avait Patricia Rafle (Thérèse), ma sœur, mon amie. Elle a été une première fois ma sœur dans "Un tramway nommé désir" qu'avait monté Guy Magen avec beaucoup de finesse. Puis j'avais dirigé Patricia dans " Toi et tes nuages" où elle jouait le rôle d'une sœur aussi. Et puis elle a été ma sœur encore une fois dans "Une station service". Dans les pièces que nous avons jouées, elle était toujours la sœur qui prenait soin de moi. Dans la vie, elle avait cette même qualité de cœur, et puis nous riions tellement ensemble, elle était insouciante et tendre. Nous avions une complicité rare sur scène et hors scène.

Il y avait Mathieu Kemenovic (Richard) qui après avoir été brutal et dur dans le rôle de Georges la Crevette du "Baiser de la veuve", jouait encore les gros durs dans celle-ci. Il était beau gosse Mathieu, avec un rire énorme qui faisait trembler les coulisses. Une réelle complicité faisait que nous jouions ensemble comme si c'était évident.

Il a fait venir son père Klaus Kemenovic pour le rôle de mon père dans la pièce. Un homme subtil et séduisant avec un bel accent, une vraie profondeur.

Il y avait François Daguet (Samson). François est venu un jour à l'atelier théâtre que je donnais dans le cadre de la MJC, bien avant que "Coups de Théâtre" n'existe. Je l'ai dirigé dans une soirée cabaret, dans "l'Ecume des Jours", dans un spectacle sur Hitchcock, dans "Toi et tes nuages". Nous avons joué ensemble dans "Dieu aboie-t-il ?" que nous avons été jouer deux en train, un dans la voiture avec le décor, du côté de Toulouse où nous avions été invités. Seulement la publicité n'avait pas été faite, oubliée. Nous avons joué dans une salle de trois cent places vide où deux techniciens ont eu la gentillesse de venir s'asseoir aux deux derniers rangs de la salle et d'applaudir quand nous leur avons signalé que c'était la fin de la pièce. ; Aventure improbable mais inoubliable. Et nous sommes rentrés à Orsay. .. Et puis il est venu nous rejoindre pour "Une station service" dans lequel il avait un texte long comme un jour sans pain, dans lequel il était sur scène en permanence, il y réparait tous les soirs une Austin en morceaux. J'ai revu le film de la pièce, il est bluffant de naturel, de professionnalisme. François, dès le premier jour des répéts, quand chacun en est encore à se demander quel rôle il joue, il sait son texte sur le bout des doigts, a tous ses costumes et même parfois ceux des autres acteurs, nous apporte la moitié de la conception du décor, souffle à ses partenaires et filme en même temps les coulisses. François c'est un peu un couteau suisse, avec l'âme en plus. Il a fait de la mise en scène de son côté, je sais.

Il fallait beaucoup d'acteurs dans cette pièce. Alors nous avions posé dans la ville des petites annonces pour les trouver. Ces petites annonces ont été comme les cailloux du petit Poucet : elles nous ont fait arriver à la Maison.

Jean-François May (Thomas) : Jef qui est resté,  de longues années durant,  mon frère de scène, il a été tour à tour au gré de ses personnages,  mon ami, mon fiancé, mon amant, un agent immobilier, un sorcier. Nous avons joué ensemble dans sept pièces, en avons écrit une à quatre mains: Stripteases. Il a été un partenaire, un complice, avec un talent rare oscillant entre un comique fou et une émotion qui m'a bouleversée plus d'une fois. Je reparlerai de lui encore. Je l'aimerai toujours.

Françoise Pernet (Madeleine) qui jouait ma mère et qui aurait tout juste pu être ma grande sœur. Françoise était peintre aussi et en plus de jouer, comme la pièce le demandait, elle exposait sur scène plusieurs de ses tableaux. Elle était douce et nerveuse, elle était angoissée et rassurante, elle était noble. Belle, si belle. Elle a joué dans deux autres pièces avec nous.

David Lambert (Winnock). Ah David ! On pourrait en faire un poème. David c'était le froid et le chaud, la tendresse et la rudesse, c'était les grands rires et les grandes colères. Un sixième sens de savoir, en vous regardant, si vous étiez triste ou gai. Si il vous sentait triste, il vous prenait dans ses bras et vous réchauffait le cœur. David sur scène il était ENORME dans le rôle Winnock. Je me rappellerai .toujours de son arrivée sur scène avec son costume mexicain et son grand sombrero, assis sur la mobylette qu'il faisait avancer avec ses pieds parce qu'elle n'avait pas de moteur. David c'était toujours l'œil qui frise. Il a joué dans trois pièces avec nous.

Marie (Doris)  qui était au lycée. En seconde. 15 ans.  Avec ses longs cheveux bruns et son tempérament de feu. Elle était ma petite sœur dans la pièce, et elle venait souvent boire un thé à la maison quand elle remontait de l'école. Elle nous a fait rencontrer : 

Nicolas Oton (Tutut). Nico. Un petit prince de 15 ans. Un acteur époustouflant qui jouait le rôle d'un jeune simple d'esprit, un fou. Nico était une personne magnifique, sans âge, tendre, beau, si talentueux que ses performances me laissaient sans voix. Il a été un ami alors que j'aurais pu être sa mère. Il avait tout compris à la scène, c'était un clown et un conteur, un magicien et un comédien hors pair. Je sais qu'il continue le théâtre à Montpellier. Je l'embrasse bien  bien fort.

Et puis Ghislain et Valérie....qui ne voulaient pas jouer mais qui voulaient faire partie de l'aventure et qui en ont été les pièces moteur.

Valérie Demuyt, d'abord qui était l'amie de Patricia. Grande belle et douce blonde. Qui trouvait toujours l'accessoire dont on avait besoin, la solution pour le décor qui ne tenait pas, qui nous tenait la main dans les coulisses, qui riait toujours des blagues de tous même quand elles étaient un peu pourries. Qui collait les affiches et cousait les rideaux, qui faisait le café et décapsulait les bières, qui faisait réciter nos textes et nous maquillait, qui prenait des photos. Qui était notre confidente. Et pourtant toujours un peu sauvage et mystérieuse. Une très belle personne.

Ghislain Bourbon. Ghislain est une personne hors norme. Un séducteur de la vie, un qui rigole et qui écoute. Ghislain il était partout. Il était l'assistant de Jean Noël à la mise en scène, il allait chercher les bidons et les pneus, il faisait rire l'un en rappelant à l'autre ses placements sur scène. Ghislain c'était un grand rire, une générosité incroyable, un hyper actif qui découvrait le théâtre avec des yeux d'enfants. Il a été un ami. Un très grand ami. Un de ceux qui marque pour toujours. Un qui pensait aux anniversaire, qui faisait le témoin aux mariages, qui avait une voiture différente tous les jours, qui dès le premier jour où nous nous sommes rencontrés m'a donné l'impression qu'il avait toujours été là, près de moi.

Manou, timide et efficace. Elle nous coiffait, nous maquillait, cousait nos robes. Elle ne haussait jamais le ton sauf quand on voulait la filmer, ou la prendre en photo. Je me souviens de ses grands yeux noirs et de son sourire doux.

Et puis Hervé Bolle ami et régisseur de la salle Jacques Tati et Martine maquilleuse et sœur de Patricia.

La pièce est magnifique. Une histoire de famille déjantée, qui vit dans une station service inutile depuis qu'une déviation a été faite pour atteindre l'aéroport. Des sœurs, des petits amis, des voyages en Espagne, un enfant débile qui va héberger son grand-père artiste dans sa cabane, une mariée qui préfère son amant que son fiancé, une station service qui devrait être vendue, une voiture qui doit être prête pour le mariage...

J'y jouais un personnage fantasque, rebelle et sensuelle Maud. Une chance de personnage, j'y étais belle, aimée, drôle, légère, inconséquente. Le théâtre est merveilleux pour cela de vous donner un personnage solaire attachant et si égoïstement rayonnant. Les hommes sur scène aimaient Maud et le public aussi. Que rêver de plus doux et de plus valorisant Et pourtant j'en ai pris des pastille euphon pour mes enrouements d'avant monter sur scène, mes dolipranes pour au cas où j'aurais mal à la gorge, le petit fond de vodka quand j'entendais "Bon c'est l'heure, il faut se mettre en place, vous êtes tous prêts ? On était tous prêts , oui, en rang d'oignon devant l'unique toilette, et en en sortant nous refaisions la queue illico jusqu'à la dernière limite. La musique partait, dans le noir on se disait qu'on n'y arriverait jamais et on prenait une grande inspiration quand les premiers démarraient et que notre tour approchait. On se serrait, on se parlait à voix basse, on collait nos chewing-gum derrière les radiateurs. Je me tenais très droite, accrochée à mon sac à main et à l'avant bras de Jef qui devait subir sa nième luxation tant la peur, l'excitation de démarrer cette pièce chaque soir était un challenge. Un déchirement aussi que de savoir qu'en la démarrant, cela impliquait invariablement que nous la finirions et que nous n'en aurions plus que très peu de fois à jouer.

Jean- No nous a porté à bout de bras, nous a fait confiance, nous a fait remettre encore et toujours sur l'ouvrage ce que nous proposions; Il nous a fait crier et dire des gros mots, il nous a fait boire et fumer, il nous a fait nous embrasser et nous battre, pleurer aussi;  Il nous expliquait des grandes théories avec des mots de sa composition comme le fameux "Broubaba" et tant d'autres encore. Avec la grande magie qu'il a de savoir où il va et être le seul à le savoir. Nous le suivions alors, envolés dans nos ailes d'ange; Il savait rire, mais aussi taper sur la table, il savait prendre l'espace de la scène pour nous apprendre à l'apprivoiser et ne pas en être timide. Il nous a fait nous toucher, nous regarder dans les yeux, faire de nous souvent des caricatures à grandeur humaine. Il a toujours voulu que nous soyons beaux sur scène. Une station service était sa deuxième mise en scène.

Et puis au milieu de ça, Jean No a vécu un grand déchirement personnel, qu'il a malgré tout intégré dans l'aventure très délicatement et dans la réserve.

Nous étions hors du temps tous ensemble, presque étonnés parfois que le public s'invite dans notre intimité. D'ailleurs quand il avait quitté la salle, nous continuions la soirée à rire, à boire, à fumer jusqu'aux petites heures du matin, déchirés de devoir nous séparer déjà, mais heureux de savoir que nous nous retrouvions le soir.  Arrêter cette pièce a été un déchirement violent. Comme si nous perdions un grand amour. Comme si nous perdions notre enfance et que nous devions atterrir dans le monde des adultes. Cette aventure a été une grande cour de récréation, un retour à la légèreté.

Bizavous
Nathalie


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